Fiscalité : L’abus de droit à géométrie variable

Par Laurent Mathély

Le dispositif fiscal de l’abus de droit, codifié à l’article L 64 du Livre des procédures fiscales est bien connu, mais connait cette année des ajustements qu’il convient de préciser. On rappellera tout d’abord que si le risque d’abus de droit est souvent mis en avant, et commenté, l’application effective du dispositif reste tout de même anecdotique (44 affaires soumises au Comité de l’abus de droit en 2017, dont la majorité des cas concerne l’impôt sur le revenu).

On sait que le dispositif actuel comprend déjà, de fait, deux volets alternatifs, celui du caractère fictif de l’acte, et celui visant à écarter les montages à but exclusivement fiscal. Dans les deux cas, le Comité de l’abus de droit fiscal peut être saisi, et les pénalités de 40 ou 80 % trouvent à s’appliquer.

Le législateur avait tenté par le passé d’élargir la notion d’abus par fraude à la loi, mais le Conseil Constitutionnel avait censuré le dispositif en décembre 2013.

Le dispositif revient, avec la récente loi de finances, et cette fois par une rédaction que le Conseil Constitutionnel a validé.

Aux termes du nouvel article L 64 A, l’administration sera en droit d’écarter également (mais pour les actes réalisés à compter du 1er janvier 2020 seulement) les actes qui, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes, ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ont pour motif principal, d’éluder ou atténuer la charge d’impôt. Le motif principal s’ajoute donc au motif exclusif de l’abus de droit historique.

L’appréciation de ce nouveau critère risque d’être particulièrement délicate.

On va donc se trouver devant un dispositif d’abus de droit à deux vitesses, sachant que le nouveau dispositif, qualifié de « mini-abus de droit » bénéficie de la même garantie de saisine du Comité de l’abus de droit fiscal. Toutefois, le dispositif nouveau n’est pas assorti des pénalités spécifiques de 40 ou 80 % propres à l’abus de droit originel. L’administration conserve naturellement le droit d’appliquer des pénalités aux mêmes taux, au titre des manquements délibérés ou des manœuvres frauduleuses… En pratique, on voit mal l’administration écarter un montage à son avis abusif, tout en admettant la bonne foi du contribuable, mais les pénalités ne seront pas automatiques, et l’administration devra donc en justifier de l’utilisation.

Par ailleurs, la même loi de finances introduit, par transposition d’une directive communautaire, une nouvelle clause anti-abus, mais d’ordre général, et spécifique à l’impôt sur les sociétés. Le dispositif, prévu à l’article 205 A nouveau du Code général des impôts, est donc une simple règle d’assiette, et non de procédure. Ainsi, il ne relève pas de la saisine du Comité de l’abus de droit, ni des pénalités spécifiques. Sur le fond, le dispositif vise à écarter les montages dont le but principal est d’obtenir un avantage fiscal allant à l’encontre « de l’objet ou de la finalité du droit fiscal applicable » et ne seraient donc pas « authentiques » compte tenu des circonstances et en l’absence de « motifs commerciaux valables ». L’entrée en vigueur concerne les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2019, sans référence à la date de mise en place du montage.

Outre la difficulté liée à la rédaction en termes très généraux de la clause, se pose la question de l’articulation avec le dispositif de l’abus de droit. La loi y répond en partie, en précisant que l’abus de droit nouveau ( mini…) de l’article L 64 A, s’applique « sous-réserve » de l’article 205 A… on n’aurait donc pas les deux procédures simultanément. Mais s’agissant de l’ abus de droit originel, il n’est pas affecté par la clause anti abus à l’impôt sur les sociétés. En d’autres termes l’abus de droit resterait applicable, même pour une opération relevant également de l’article 205 A.

Le juge de l’impôt va devoir tracer des frontières ….